Franchir le Rubicon
Denis Marie
15 avril 2021

Franchir ce que j’appelle le “Rubicon”, c’est dépasser notre personnage. C’est aller voir dans notre cœur notre visage originel. C’est enfin lever le voile de notre identité factice. C’est reconnaître honnêtement notre imposture, l’artifice d’un “rôle” et d’une “histoire” auquel nous nous sommes associés. Tant que nous continuerons sans nous être démasqués, c’est toujours en faveur de notre identité d’emprunt que nous progresserons.

Tant que nous continuerons sans nous être démasqués, c’est toujours en faveur de notre identité d’emprunt que nous progresserons.

L’ensemble de notre cheminement en faveur de la vérité et en vue de notre libération se déroule à 99 % dans l’illusion. C’est seulement dans les “derniers pas” que la sortie et le réveil s’accomplissent. Nous sommes comme la “fée au bois dormant” qui, durant de longues années dort en attendant le fameux baiser qui va la réveiller.

Toute l’illusion que nous traversons, que nous entretenons, repose sur un seul “sortilège” que nous ne réussissons pas à lever. Il y est tel un “sceau”, tel un scellé qui retient un voile d’obscurcissement sur notre conscience. Celui-ci n’est pas extérieur. Il opère de la même façon que lorsque nous masquons nos yeux avec nos propres mains. Dès cet instant, nous devenons aveugles. Nous sommes privés de notre sens le plus essentiel.

Tout cela se produit alors qu’aucune défaillance réelle n’est apparue dans notre corps. Aucune anomalie, non plus, n’intervient sur le plan de notre conscience. Cependant, d’avoir placé sur elle un voile d’idées et de concepts, a pour effet que nous ne bénéficions plus de sa lumière de connaissance. Nous avançons dans l’ignorance.

Parce qu’en nous l’ignorance a pris l’ascendance, toute notre perception, tout notre jugement s’en trouvent affectés. Malgré que nous comprenions notre handicap, nous ne trouvons plus la ressource pour y remédier. Quand bien même nous cherchons et fournissons de nombreux efforts, tous restent infructueux.

Nous bougeons, mais uniquement à l’intérieur de notre rêverie.

Nous sommes prisonniers et perdus dans un château d’obscurité. En lui, nous allons et venons sans succès. Nous errons dans un labyrinthe dont nous ne distinguons même pas les contours. Aussi, toutes nos déambulations, toutes nos gesticulations ne font que nous garder dans l’illusion. Nous bougeons, mais uniquement à l’intérieur de notre rêverie.

Qu’est-ce qui va faire que nous allons réussir à sortir de notre sommeil ? Voulons-nous vraiment échapper à toute cette histoire ? Concrètement, ces questions nous devons leur faire face. S’il n’existe pas une réelle cause extérieure, nous avons toutes les cartes en main. De plus, de notre tréfonds, continue de s’élever l’appel pressant de la source.

Il est mal commode d’être à la fois celui qui veut résoudre un problème et qui parallèlement crée et maintient ledit problème. Dans notre système de pensée, bien des explications et des théories tentent de s’imposer. Cependant, c’est sur un tout autre plan que cela se joue. Nous devons bien comprendre que la solution ne peut pas venir du personnage, du rôle avec lequel nous sommes en identification.

Il nous est difficile de nous remettre entièrement en cause.

Il nous est difficile de nous remettre entièrement en cause. À chaque fois que nous essayons, nous restons en retrait. À nos yeux, l’invitation qui consiste à passer de l’autre côté du miroir représente un défi de taille. Durant tout ce temps, nous avons appris à nous travestir derrière un rôle et une fonction. Aussi, nous avons conquis une place sur la grande scène de la vie. Alors, pourquoi irions-nous tout mettre par terre ? Pourquoi revenir au “moi d’avant” duquel nous avons divorcé ?

S’agit-il vraiment d’un “défi”, ou pressentons-nous l’écroulement inéluctable de notre château de cartes ? De bien des façons, ça nous arrange bien de ne pas tout savoir et d’entretenir une part du mystère. L’illusion qui est nôtre continue parce que nous voulons qu’il en soit ainsi. En fait, à tout moment, et ce depuis toujours, nous pouvons arrêter le jeu auquel nous nous prenons.
S’il est impossible à l’homme de voir Dieu, il est impossible au personnage d’atteindre sa vraie identité. Le mensonge ne trouvera jamais la vérité parce que, simplement, il n’existe pas. En vérité, il n’y a toujours eu qu’UN.

Franchir le Rubicon, c’est abandonner enfin toute histoire, ou toute stratégie pour la modifier.

Parmi les facteurs qui nous retiennent d’abandonner notre jeu se trouve le doute. Celui-ci agit en nous déjà depuis longtemps. C’est généralement le fait de douter de soi-même qui nous pousse à endosser et à développer notre personnage.
Avec un peu de recul, nous voyons bien que ces artifices n’ont rien résolu. Le personnage n’est pas plus assuré que nous le sommes. Il porte le poids de toute son imposture. Dans la confrontation du “Rubicon”, soit il trouve l’honnêteté de tout se dévoiler, soit une nouvelle fois il s’esquive en se donnant une bonne excuse.

Soyez assuré que lorsque vous aurez franchi la ligne symbolique qui vous sépare de la vérité, le rêve entier s’écroulera. Aussi, vous aurez la certitude qu’il n’a jamais existé. Dès lors, vous vous serez “rejoint”. Vous serez à vous-même sans que rien ni personne ne puisse s’interposer.
Tout cela ne représente qu’une histoire à laquelle nous croyions. Se contenter d’en avoir la compréhension n’est pas suffisant. C’est uniquement d’en reconnaître, d’en démystifier la nature imaginaire, qui rompt son charme. C’est cela qui, concrètement, permet que nous nous en réveillions.